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Chroniques
Angélique, farce de Jacques Ibert
Les mamelles de Tirésias, opéra-bouffe de Francis Poulenc
Soixante ans après leur création à l'Opéra Comique, Les mamelles de Tirésias retrouvent la salle où elles virent le jour, dans une version de concert donnée par l'ensemble Ostinato, précédée d'Angélique, farce en un acte peu connue d'Ibert. Outre leur appartenance à l'héritage musical français et au genre comique, ces deux pages de la première moitié du XXe siècle ont en commun le thème de la femme. Mais le même traitement ne lui est pas réservé.
Dans l'œuvre de Jacques Ibert, la « briseuse de porcelaine et de tympans » Angélique est une insupportable mégère qui, à la différence de celle de Shakespeare, ne se laisse pas apprivoiser. Pour s'en débarrasser, son mari Boniface la met en vente mais, devant ce démon fait femme, tous les amants potentiels finissent par prendre leurs jambes à leur cou, y compris le Diable en personne. Malgré la bouffonnerie, l'œuvre est à faire hurler les féministes tant la vision de la femme y est caricaturale.
À l'inverse, beaucoup plus complexe apparaît la Thérèse des Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc. Dans la ville imaginaire de Zanzibar, quelque part entre Nice et Munte Carlu, elle représente le parangon de l'émancipation. Loin de cantonner son indépendance à la seule sphère conjugale, elle renonce à ses attributs féminins – « débarrassons-nous de nos mamelles » – et accapare les pouvoirs politique et économique. Elle devient Tirésias, du nom de ce devin de Thèbes qui avait fait l'expérience des deux sexes. Aux hommes, désormais, de faire des enfants, tâche accomplie par son mari qui met au monde « quarante-neuf mille quarante-neuf nouveau-nés en un seul jour » ! Adapté du drame « surréaliste » d'Apollinaire marqué par la première Guerre mondiale, l'opéra finit par une fausse exhortation nataliste : « écoutez, ô Français, les leçons de la guerre, et faites des enfants, vous qui n'en faisiez guère ».
Délirantes, ces deux farces auraient incontestablement gagné à être mises en scène. De fait, on sent les chanteurs les plus comédiens, comme Gaëlle Méchaly (Angélique et Thérèse) ou Jean-Paul Fouchécourt (Le mari), frustrés de ne pouvoir exprimer tout leur potentiel scénique dans cette version de concert. Les quelques accessoires – panneaux Femme à vendre, panier, bourses, voiles, etc. – ne rendent que plus criante l'absence de scénographie.
Le deuxième regret de cette soirée concerne l'articulation. Alors que tous les chanteurs sont francophones, on saisit mal pourquoi la diction est si mauvaise. À l'exception de Fouchécourt, remarquable de clarté, les autres se font difficilement comprendre. La mauvaise diction de Méchaly, pourtant habituée de la mélodie française, surprend. Elle est heureusement compensée par son expressivité, son humour et son implication dans ses deux rôles. Aigus et vocalises lui sont faciles, ses piani peuvent être remarquables, mais son médium n'est pas encore suffisamment sonore. À l'exception (encore !) de Fouchécourt dont enchantent présence, malice et sensibilité, la distribution masculine reste décevante. Marc Barrard (Boniface, Directeur, Gendarme) n'est pas très à l'aise dans les intervalles du Prologue, la voix de Matthieu Lécroart (Charlot, Presto, Vieux monsieur) est peu stable, Jean-Loup Pagésy (Nègre) possède un timbre intéressant mais force trop. Enfin les deux jeunes ténors Mowgli Laps (L’Italien) et Jean-Louis Meunier (L'Anglais, Lacouf, Fils) sont souvent couverts par l'orchestre.
La direction de Jean-Luc Tingaud, plus subtile dans Poulenc que dans Ibert, est précise : les rythmes compliqués des deux œuvres sont bien mises en place tant pour l'orchestre que dans le chœur et avec les solistes ; c'est déjà beaucoup.
IS